lundi 19 octobre 2009

Le syndrôme de Galaad

Comme je vous le disais il y a déjà quelques articles de cela, j'aspire un peu beaucoup à tenter d'essayer un jour de peut être écrire un livre. Je met un peu de retenue dans cette phrase parce que c'est loin d'être aussi simple que de se lever le matin en se disant « tiens, si je faisais plusieurs dizaines de volumes sur la vie de familles sous le second empire ». Zola a peut être bâti sa chronique des Rougons-Macquarts (1) comme ça, au saut du lit, mais quand même, ça m'étonnerai fort.
Je ne dirai pas non plus, à l'inverse, que j'en suis au point mort, loin de là. Seulement je m'éparpille un peu dans tous les sens, comme un blob (2) qui serait passé sur une mine. Avoir une idée en ce moment, c'est aussi en avoir pour des jours de boulot à essayer de voir comment l'intégrer correctement dans tout ce à quoi on a déjà pensé avant. Et évidemment, le problème devient de plus en plus délicat au fur et à mesure que le nombre d'idées augmente.
En ce moment, chaque fois que j'y pense, je suis sur les personnages. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Où vont-ils ? Comment se rencontrent-ils ? Pourquoi ils restent ensembles ? Pourquoi ils se séparent ? Comment concilier le tout ? Etc... Alors à force d'essayer de déterminer les caractéristiques de chacun d'entre eux, on commence à réfléchir sur les personnages des autres romans et histoires qu'on lit ici ou là. Et c'est ainsi que j'ai découvert ce que j'appelle personnellement le syndrome de Galaad.
Parce que dans le genre erreur de casting, Galaad, dernier chevalier de la table ronde et découvreur du graal, se pose là. Mais pour comprendre il faut en revenir au début de la légende arthurienne.
Vous savez peut être que la légende d'Arthur et de la table ronde telle que nous la connaissons aujourd'hui date du 13e siècle. Or, comme toute légende qui se respecte, ses origines remontent à bien plus longtemps. Si tant est que Arthur (ou le personnage que l'on appelle Arthur) ait existé, et il apparaît vraisemblable que ce soit le cas, ce serait plutôt dans les environs du 6e siècle. A cette époque, on écrivait encore très peu les histoires, on les racontait surtout oralement. C'est donc oralement que s'est d'abord répandue la légende d'Arthur (sur quelle base ? Allez savoir) qui, à l'origine, est une légende païenne (3).
Dans cette première légende, c'est Perceval qui découvrait le graal qui n'était pas encore une coupe (il paraît que dans la première version c'était une tête coupée baignant dans son sang sur un plateau ce qui, selon certains historiens, tendraient à montrer que l'origine de la légende serait une histoire de vengeance). Puis les chrétiens sont arrivés et ont commencé à remplacé tous les rites païens par les leurs même si ça ne correspondait pas à leurs croyances (Noël n'est pas l'anniversaire du Christ, la date correspond à une fête païenne que les chrétiens ont ainsi remplacé et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres). Du coup, le personnage de Perceval les tentait moyens étant donné que le bonhomme aimait boire, manger et forniquer à tout va. Ceux qui reprirent la légende lui préférèrent donc Lancelot (4), candidat plus adapté pour trouver un objet sacré. Mais au fil du temps, les moeurs évoluant, cela ne suffit plus. Les moines du 13e siècle voyait d'un mauvais oeil la célèbre relation entre Lancelot et Guenièvre et décidèrent qu'il était également temps pour lui de passer la main. Pour cela, ils lui créèrent un fils de toute pièce, Galaad qu'il aurait eu avec une fille qui l'a empoisonné pour qu'il la prenne pour Guenièvre. Ce nouveau personnage sera l'incarnation des valeurs morales chrétienne.
Et c'est là le hic. Parce qu'à force d'incarner, le personnage se désincarne. Il devient d'un in-intérêt chronique. Il est tout simplement trop abstrait, ne pouvant jamais commettre de fautes, parfois de petites erreurs qui ne sont jamais de sa responsabilité. Il participe bien à quelques aventures mais comme il ne peut échouer, étant le plus beau, le plus fort, c'est lassant. Sur cette couche de mièvrerie vient se greffer quelques faits d'armes, notamment des massacres de villages païens, femmes et enfants compris. Où l'on voit que la désincarnation du personnage en faveur de valeurs lui ôte toute idée de remords, de compassion, de pitié, pourtant des valeurs reconnues dans la religion chrétienne d'aujourd'hui.
Bref, cette longue tirade pour expliquer en quoi Galaad est clairement un mauvais personnage d'un point de vue narratif. D'un point de vue moral, ça vous regarde. Puis à partir de là, on se rend compte que de nombreuses oeuvres comportent des héros souffrant de ce syndrome. Souvent des conneries d'ailleurs. Passons sur la littérature qui, en règle générale, développe tout de même un minimum les personnages pour le besoin du récit. Le cinéma est un exemple actuel qui offre de nombreux cas de Galaad.
Prenez n'importe quel film d'action américain. Le personnage est généralement le gentil en tout point qui se bat contre des méchants en tout point. Et on prend pas le temps de leur demander s'ils veulent renoncer à leurs méfaits ou quelque chose du genre. Non, on flingue direct. Tout comme les villages païens, enfants en moins.
Les super-héros sont particulièrement représentatifs du syndrome de Galaad. Les premiers surtout, de DC comics(5), sont des incarnations de valeurs que les forces de l'ordre et la justice classique ne peuvent (selon les auteurs) plus porter à eux seuls. En cela ils deviennent des justiciers qui transgressent les lois, reniant ainsi indirectement la morale qui a créé ces lois. Et donc bien sûr pas de questionnement sur le pourquoi du mal. On tape, c'est tout. L'arrivée de Marvel a un peu changé la donne. Déjà, tous les super-héros DC sont des humains, chez Marvel, des monstres (hulk, la chose des 4 fantastiques, diablo des X-men,...) sont aussi des héros. On est un peu plus loin de la perfection incarnée de Galaad. Et psychologiquement, ça devient un peu plus fouillé aussi. Les X-men sont des victimes de la société mais ils la protège malgré tout. Spiderman se pose des questions sur sa responsabilité en tant que super-héros, etc... Et cela se retrouve dans les films adaptés de super-héros.
Curieusement, une daube monumentale comme « Daredevil » propose un héros en phase terminale de syndrome de Galaad. Pour preuve, ce symptôme indubitable lorsque le personnage dit « je ne suis pas un méchant ». Pour avoir, malheureusement, vu le film, je peux vous certifier que cela résume toute la philosophie du film.
A l'inverse, d'autres grands succès mérités offrent des héros plus complexe. « Iron man » par exemple où le héros est confronté au mal qu'il a fait en vendant des armes. Les deux premiers « X-men » où l'on sent bien le côté stigmatisé, voir même traqués des personnages qui se posent des questions sur le sens de leur combat(6). « Hellboy » qui protège l'humanité contre des risques dont elle n'a même pas conscience mais qui doit rester caché sous peine d'opprobre populaire. Et bien sûr , « the dark knight », le dernier batman dans lequel l'ambiguïté du personnage est portée à son paroxysme. On assiste depuis peu à un retournement de situation dans le domaine des super-héros où l'on cesse de les voir comme des boyscouts et où ils en deviennent inquiétant. C'est toute la question d'un « Watchmen » par exemple, dont le film est d'ailleurs sorti pile au bon moment, pour le coup. Le personnage de Rorshach est un cas de Galaad type. Porté par des valeurs qu'il croit supérieur à tout, il s'octroie le droit de vie ou de mort sur les malfrats qu'il attrape.
Les personnages qui portent des valeurs n'échouent pas tous. Il suffit juste, en fin de compte, de ne pas oublier qu'ils sont censés avoir une personnalité. Prenez le John McLane des « Die Hard » par exemple. C'est clairement le gentil contre les méchants, mais lui, il a de la gueule et il ne fait pas bien propre sur lui. Il évite surtout le côté moralisateur qui ressort naturellement de chaque Galaad. Car c'est en finalité le plus gros défaut de ce type de personnage. D'après vous, pourquoi Han Solo est plus populaire que Luke ?
Et tout ça pour en revenir au début et vous dire que je galère un peu sur mes personnages car je ne veux surtout pas que l'un d'eux soit atteint de ce fléau. A l'inverse, j'essaie également de ne pas faire en sorte que les « méchants » ne se résume qu'à ça. C'est donc bien compliqué et, si je ne désespère pas d'avancer petit à petit, je peux vous dire que si un livre avec mon nom voit le jour, ce ne sera pas avant un certain temps. Cela dit, si vous êtes impatients, vous pouvez toujours relire ce blog depuis le début.

(1) Pour ceux qui ont fait l'école buissonière pendant les cours de français, série de livres dont font parties certaines des plus grandes oeuvres du maître dont L'assomoir, Au bonheur des dames, Germinal, etc...
(2) Le blob, film d'horreur culte de 1988 réalisé par Chuck Russel où une grosse guimauve gélatineuse « consomme » les citoyens d'une petite bourgade paisible en les dissolvants dans sa masse acide. Très bons effets spéciaux.
(3) Je fais mon malin mais tout ça je le sais grâce aux très bons bouquins de Jean Markal, au nombre de huit, regroupés sous l'appellation Le cycle du graal.
(4) Au passage, Lancelot n'existait pas dans la légende d'origine, il est avéré que c'est un ajout de légendes françaises, tout comme Galaad qui sera ajouté au 13e siècle. Et un autre passage tant qu'on y est, quand on voit ces personnages apparaître dans un film comme « le roi Arthur » qui se veut historiquement fidèle, on se marre.
(5) Superman, Batman, Wonderwoman,...
(6) Dans le troisième on retrouve d'un coup l'opposition tout gentil contre tout méchant. Navrant.